Visa pour le monde d'après
Retrouver le goût du vrai pour ne plus se mentir
Dans toute la cacophonie actuelle, qu’elle soit médiatique, politique, sur les réseaux sociaux ou au café du commerce, il est de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux sur la crise sanitaire que nous vivons… Plus personne ne sait plus vraiment à quel saint (sain 😉) se vouer, le ras le bol est général, mondial… Pas encore de révolte véritable, mais chacun gronde intérieurement et se retrouve dans un sentiment de double contrainte (appelée aussi injonction paradoxale) parce que soit cette pandémie est grave et on a l’impression que l’on se fout de notre gueule ou soit elle ne l’est pas… et on se fout de notre gueule. Comme si l’on était projeté dans un jeu où l’on était toujours perdant.
Cafouillage, paradoxes, incohérences, mensonges… tout donne lieu à un débat où chacun finalement règle ses comptes, prêche pour sa chapelle, expose ses petites misères, perd le fil et ne sait plus quoi penser. Quid de l’éveil aux vrais enjeux environnementaux et sociétaux attendu. Le confinement n’a même pas tenu cette promesse-là. Beaucoup polémiquent mais la plupart veut surtout retrouver vite sa vie d’avant et jouir si possible au maximum de la société de consommation, celle-là même dont elle fustige les gouvernements.
Pour remettre un peu d’ordre et de sérieux dans le débat, j’invite tout un chacun à se procurer l’ouvrage suivant. En effet, dans son essai « le goût du vrai », Etienne Klein - philosophe des sciences et directeur de recherche au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) – pointe 4 biais qui contaminent à notre insu notre liberté de croire et de penser.
#l’aisancecognitive : « tendance à accorder davantage de crédit aux thèses qui nous plaisent qu’à celles qui nous déplaisent. Sans aller y voir trop près, nous adhérons spontanément aux « vérités » qui répondent à nos vœux, rejetant les autres d’un revers de la main. Gouvernés par nos émotions, notre feeling, nous prenons nos désirs pour des réalités. Et tant pis pour les faits ou les arguments qui viendraient à nous démentir. »
#l’ipsédixitisme : « Dès lors que le maître lui-même l’a dit (ipse dixit), alors on ne discute pas. L’autorité que nous accordons à X ou Y nous incline à considérer comme vrais les propos qu’il tient, nous dispensant d’exercer notre esprit critique. Dan Sperber qualifie d’#effetgourou cette sensibilité aux arguments d’autorité. Dans sa forme dégradée, ce travers nous pousse à croire qu’une chose est vraie pour l’unique raison que nous l’avons lue ou entendue. »
#l’ultracrépidarianisme : « autre néologisme malicieux construit à partir de la locution latine : sutor, ne supra crepidam (le cordonnier doit s’arrêter au rebord de la chaussure). Ce mot désigne la tendance, fort répandue, à parler avec assurance de sujets que l’on ne connait pas. » On peut parler aussi de #leffetDunningKruger. Dunning et Kruger attribuent ce biais à une difficulté métacognitive des personnes non qualifiées qui les empêche de reconnaître exactement leur incompétence et d’évaluer leurs réelles capacités.
#l’intuitionpersonnelle : « la confiance accordée au bon sens, aux évidentes apparences… pour émettre un avis sur des sujets scientifiques. La science prend souvent l’intuition à contre-pied, contredit presque toujours le bon sens et n’a que faire de la bureaucratie des apparences. Dans La Formation de l’esprit scientifique, Gaston Bachelard expliquait que la science, c’est « penser contre son cerveau ». »
Voilà de quoi calmer nos velléités à jouer les apprentis virologues et notre promptitude à réagir. En tant que débutants, réagissant à chaud sur un dossier dont nous ne savons pas grand chose, nous commençons toujours, par excès de confiance, à monter ce que Dunning et Kruger appellent la montagne de la stupidité avant de redescendre forts de l’acquisition de compétences dans la vallée de l’humilité. Il faut environ 10 000 heures pour pouvoir posséder son art ou devenir un expert dans sa science. C’est environ 5 années d’expérience à temps plein. À ce niveau d’expérience, on maîtrise bien son art, on connaît ses limites et on est à même de bien cerner ce qu’on ne maîtrise pas ou ce qu’on ignore. Nous pouvons ainsi remonter la pente de l’auto-évaluation de compétence et atteindre le plateau de la consolidation qui est souvent moins haut que la montagne de la stupidité faite d’auto-surévaluations et de sous-estimations des experts.
Néanmoins, n’ayons pas peur de prendre de la hauteur pour autant et de chercher à comprendre. Il suffit pour commencer par regarder à qui appartiennent les organes de presse pour douter de la véracité de l’information. Les réseaux sociaux nous ouvrent à d’autres connaissances qui nous permettent de manifester notre scepticisme, de débattre et de prendre part à notre petit niveau à la vie démocratique. Mais soyons rigoureux intellectuellement, ayons soif de connaissances et non de rapports de force. Nous ne pouvons pas condamner si promptement et tirer sur les ambulances uniquement parce que nous sommes frustrés et entravés dans notre volonté de jouir.
N’acceptons pas non plus les abus liberticides et l’infantilisation de nos dirigeants. Mais ne nous focalisons pas sur la pertinence ou non du port du masque. Bien sûr qu’il est absolument contre-nature de nous empêcher de respirer mais admettons que cette pandémie dépasse tout le monde, qu’aucun expert ne s’exprime clairement à ce jour sur le comment elle va évoluer et qu’il faille bien établir une mesure de prévention qui vaille pour tous et qui surtout protège les plus faibles. Si nous nous refusons à des gestes sanitaires de base, qui ne sont somme toute, qu’un infime effort d’intelligence collective alors qu’en sera-t-il quand il faudra vraiment passer aux mesures d’urgence liées à l’immense crise écologique qui nous pend au nez.
Cette crise sanitaire aurait dû (comme elle l’avait promis au début) nous inviter à prendre le temps de nous préoccuper de notre santé et de notre sacro-sainte immunité. A commencer par notre alimentation trop dénaturée, trop polluée, trop carnée, trop sucrée, trop riche… Combien de personnes sont-elles passées au panier bio, au végétarisme, à la pratique du jeûne… ne serait-ce même qu’au fait maison et à l’agriculture raisonnée pour commencer ? Au lieu de cela, on a vu des queues interminables chez Mac Do à la sortie du confinement. Le télétravail a mis la planète un temps au repos avec une pollution à la baisse et une nature qui reprenait ses droits. Les chiffres des maladies respiratoires étaient en baisse. Combien de personnes ont par la suite troqué la voiture pour les transports en commun, le vélo ? Qui a mis le temps du confinement à profit pour améliorer le tri de ses déchets ? Pas grand-monde on dirait au regard des montagnes de masques jetables qui jonchent l’espace publique. Tout le monde ne sait visiblement pas encore ce qu’est une poubelle. Comme quoi, notre santé complètement intriquée à celle de notre environnement n’est une priorité que pour une infime partie de la population. Et pourtant, une grande partie a peur… Dans son livre, Ne plus se mentir, petit exercice de lucidité par temps d’effondrement écologique, Jean-Marc Gancille porte un regard sans concession sur notre situation. Face à l’impasse écologique, il invite à changer de stratégie, à exercer une légitime défense contre le système et à abandonner l’espoir pour le courage afin de sauver ce qui peut l’être et reprendre notre destinée en main, ne serait-ce que pour l’honneur.
Par conséquent, avant de débattre sur la pertinence du port du masque, chacun devrait faire son autocritique et se conduire en élève exemplaire sur les efforts personnels et civiques que l’on sait tous que l’on doit faire. On ne peut pas fustiger un gouvernement qui nous infantilise si nous nous conduisons en enfant gâté. N’a-t-on pas finalement la politique que l’on mérite ?
Par ailleurs, pendant que l’on débat sur un malheureux bout de tissu, empêtrés dans notre empêchement à vivre sans entrave, d’autres dossiers plus épineux et hautement plus préoccupants (5G, vaccinations, pédocriminalité…) émergent et semblent se traiter à notre insu dans cette drôle de période où tout le monde semble au garde à vous et se conduit finalement avec obéissance (sans doute parce qu’au fond de nous, inconsciemment, nous ne savons finalement pas grand-chose de cette pandémie). Alors, continuons à nous documenter, à interroger, à ouvrir nos consciences, à faire valoir notre libre-arbitre avec des partages de posts documentés, rigoureux. Tournons-nous vers les véritables spécialistes et gardons-nous de publier tout et n’importe quoi, ce qui est finalement contre-productif. Ne donnons pas le bâton pour nous faire battre, ne passons pas pour des doux dingues, des rêveurs, des utopistes que l’on peut railler comme vient de le faire Emmanuelle Macron à la French Tech à l’égard des opposants à la 5G en les qualifiant « d’ Amish » souhaitant revenir à l’ère de « la lampe à huile ». Quand on se fait ridiculiser devant une assemblée de spécialistes du progrès, c’est que quelque part, on manque encore de crédibilité et de légitimité, non ?
Gardons le cap ! Ce n’est que par nos actes, notre consommation, notre discipline et hygiène personnelle que nous pourrons pleinement exercer notre libre arbitre. C’est aussi le seul moyen d’acquérir aussi ces heures d’expérimentation qui feront de nous des experts. Avant de débattre sur la santé, il est fondamental d’avoir la pleine conscience de ce qu’est la santé et de vivre en santé. Considérons enfin, qu’individuellement, nous ne pouvons rien faire contre cette pandémie, si ce n’est qu’agir personnellement sur notre capacité à l’affronter en rendant notre corps plus fort, en assainissant notre environnement. Respectons les gestes barrières (quand ils sont nécessaires), sortons respirer loin des endroits confinés, arrêtons la psychose qui rend notre terrain immunitaire fertile à la maladie.
La maladie, avant d’être une malédiction est toujours un message d’alerte. Alors décidons enfin de vivre avec ce COVID 19 et apprenons enfin ce qu’il nous enseigne, de nous et de notre société.